Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Clothilde & Co.
5 avril 2008

Le droit au mauvais goût

Oui aux jeux de mots, même de mauvais goût, même foireux. Si on laisse faire cette police de la pensée qui arrange beaucoup de nos gouvernants, il n'y aura plus jamais de Pierre Desproges, ni de Coluche, ni de Charlie Herbo, ni même, bientôt, de journalistes indépendants (oui, je sais, c'est surprenant, mais il y en a probablement encore deux ou trois qui survivent en France ; enfin je l'espère). Alors, oui, la banderole est nulle et assez loin de l'esprit sportif qui devrait animer les spectateurs d'une finale, même de football, mais 1/il y a déjà eu bien pire, à Lens ou ailleurs, et il n'y a pas si longtemps, sans que personne ne s'émeuve 2/nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours qui fréquentent le café de Flore. Ci-après le très bon "rebond" que consacre Francis Terquem à ce sujet sur le site de Libé, puis un très bon article de Gilles Dhers, dans le même Libé.

Le droît au mauvais goût, par Francis Terquem, cofondateur de SOS-Racisme :
"Deux événements se sont récemment produits sur la scène sportive qui méritent d’être relevés. Tout d’abord, l’équipe du Paris Saint-Germain a livré, en finale de la Coupe de la Ligue, un bon match de football. Ce n’était pas survenu depuis assez longtemps pour être souligné. Plus extraordinaire encore, à l’occasion du même match, des supporteurs ont fait montre d’humour : «Pédophiles, chômeurs, consanguins, bienvenue chez les Ch’tis», que c’est drôle !

kill_lilleCette saillie développée sur des dizaines de mètres renvoie évidemment au film de Dany Boon, dont le succès révèle un besoin d’enracinement dans le territoire, comme dirait Ségolène, de repli sur soi très exactement contraire aux exigences de l’époque mais fort révélateur de l’état d’esprit chagrin général. Depuis dimanche, les cris d’orfraie se font vacarme. La presse populaire crie à l’outrage, la presse de gauche se plaint du laxisme de l’appareil d’Etat, les élites politiques promettent des sanctions, de la fermeté, des poursuites pénales même. Contre qui et de quel chef ? Dans ce pays où la discrimination a été institutionnalisée par le refus ontologique de reconnaître ses droits à l’individu, dans lequel la volonté manifestée par le président de la République d’élever enfin la diversité au rang de principe constitutionnel mobilise immédiatement contre elle un arc républicain tendu par Villepin, Bayrou et Chevènement, voilà que tous se soudent pour dénoncer le haineux racisme qui aurait inspiré le dazibao honni, souillure sur l’immaculé football national, et réclamer des sanctions pénales quand des commissions se réunissent pour élaguer un droit pénal trop tatillon. Analysons la chose. Il est certain que ce message ne visait pas une personne en particulier. Mais les «Ch’tis» constituent-ils une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées ? Certainement pas. On ne peut donc lire sur cette banderole que des termes de droit commun, adressés à tout le monde, c’est-à-dire à personne.

Mais ces mots accolés les uns aux autres ont un auteur, voire plusieurs. Il s’agit donc d’une œuvre de l’esprit, sans doute collective. On pourra la trouver grasse, de mauvais goût, inopportune ou d’une provocation salvatrice, mais il suffit de la déplacer dans l’espace et le temps pour mesurer sa qualité d’œuvre et donc son droit à être protégée. Dans l’espace : il n’est pas douteux que cette banderole aurait fait une excellente couverture de Charlie Hebdo. Dans le temps : nos aînés n’ont-ils pas fait bien pire avec «CRS = SS» peint sur les murs ? Voilà bien ce que cet émoi révèle et à quoi aura à tout le moins servi ce trait. Il nous édifie sur la licence avec laquelle l’ordre moral pénètre par tous les pores de la vie sociale, étouffe toutes les velléités de l’esprit, réprime toutes les expressions, qu’elles soient populaires ou distinguées, de mauvais goût ou bien senties. Celle-là était sans doute de mauvais goût. C’est ce qui en fait la valeur. Mais en tout état de cause, elle n’était pas raciste. Au contraire : en raillant la consanguinité, elle visait le repli identitaire qui marque notre temps politique et fait le succès de l’œuvre de Dany Boon."

Mauvais films dans les stades, de Gilles Dhers avec Olivier Bertrand (à Lyon) et Michel Henry (à Marseille) :
"Que s’est-il passé de plus grave samedi soir à l’occasion ou en marge de la finale de la Coupe de la Ligue entre le Paris Saint-Germain et Lens, au Stade de France ? La désormais fameuse banderole : «Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Ch’tis» ? Où les agressions racistes et les jets de bière dont ont été victimes, à la station Saint-Michel, des passagers noirs du RER de la part de supporteurs du PSG qui poussaient des cris de singe ?

«Estafette». Ces derniers incidents, autrement moins médiatisés, n’ont pas fait réagir Frédéric Thiriez, président de la Ligue, dont on retiendra le grand-guignolesque : «Nous sommes tous des Ch’tis», à l’unisson du concert de protestation qui a accueilli la «banderole de la honte» (lire ci-contre). Thiriez était-il tout chafouin que des ultras du PSG lui cochonnent sa finale de Coupe de la Ligue à laquelle assistait un aréopage de personnalités politiques, ou a-t-il découvert (ou feint de découvrir) à cette occasion «l’élégance» de certains supporteurs. A moins que le président de la Ligue n’ait pas mis les pieds dans un stade depuis longtemps.

Serait-il allé à Gerland, à Lyon, le 26 août, pour le derby contre les Verts, qu’il aurait eu l’occasion de lire «Stéphanois ordures consanguines!», sur une banderole rapidement enlevée par les stadiers.

cin_ma

Lors des derbys en général, lors de ceux entre Lyon et Saint-Etienne en particulier, les échanges par banderoles interposées volent rarement au-dessus des gradins du bas. En 2000, l’une d’elle avait profondément choqué à Saint-Etienne. Déployée à Gerland, elle touchait au cœur de la rivalité entre les deux villes. «Nos ancêtres inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans la mine» (photo ci-dessus). Le maire de Saint-Etienne avait exigé des excuses de Jean-Michel Aulas, président de l’OL. Certains supporteurs des Verts avaient réagi avec dignité au match suivant : «Fiers d’être fils de mineurs.» D’autres s’en étaient pris aux mères adverses: «Pendant que vos pères inventaient le cinéma, les nôtres niquaient vos mères.» La réponse était venue des années plus tard, alors que de nombreuses prostituées avaient été délogées du quartier Perrache, où arrivent les trains en provenance de Saint-Etienne : «Evacuation des estafettes : vos mères nous manquent déjà.»

Ces derniers temps, les rivalités ont tendance à se calmer. Le dernier scandale était venu du stade Geoffroy-Guichard, où d’immenses pancartes avaient été brandies à la mi-temps, il y a deux saisons. L’une d’elles annonçait «La chasse est ouverte», et d’autres représentaient des animaux aux couleurs de l’OL, avec les noms des joueurs. Sur une dernière pancarte, Jean-Michel Aulas, président de l’OL, subissait les assauts d’un gorille habillé aux couleurs des Verts. Michel Platini s’était alors étonné que la partie ne soit pas interrompue.

psg

Clichés. A Marseille, pas de slogans ou de bannières racistes : c’est la fierté du Vélodrome, où flotte le drapeau du Che. En revanche, ça dérape parfois du côté homophobe. On a pu lire sur une banderole au Vélodrome: «PSG: Pédo Sado Gay» (voir photo ci-dessus). On peut aussi entendre ces chants : «Et [les Lyonnais, les Parisiens, etc.], c’est des pédés !» Les supporteurs de l’OM objecteront que ce ne sont que «des paroles verbales», que ça ne vise pas les homosexuels, il n’empêche : les mots sont là. Il y a une variante : «Tuez-les ! Tuez-les !» En 1999, elle a valu à un responsable des Yankees une condamnation en correctionnelle à six mois de prison avec sursis, et six mois d’interdiction de stade, pour provocation à la haine et à la violence. On entend aussi des chansons paillardes, à destination du gardien adverse : «Ta femme est avec nous/et elle nous suce le bout!» Quand les supporteurs l’ont chantée à Robert Louis-Dreyfus, l’actionnaire majoritaire, il a moyennement apprécié. Malgré cela, la sortie au Vélodrome reste une activité familiale et bon enfant, dénuée de tension. CRS et gendarmes mobiles sont présents, mais peu visibles. On peut y amener ses enfants sans crainte. Ils vont juste apprendre un bon paquet de grossièretés.

En mai 2005, au stade Bonnal de Sochaux, les supporteurs doubistes accueillaient les Strasbourgeois, qui venaient de gagner la Coupe de la Ligue, par cette banderole : «La Coupe de la Ligue n’est plus en France.» «On pensait qu’ils allaient nous chambrer, c’était de la contre-attaque préventive», se défendirent en substance les Sochaliens. Quant aux clichés sur les Ch’tis, ils ne sont pas apparus au Stade de France. «T’es chômeurs, tu pues, tu bois, t’es un supporteur lensois (ou lillois, selon les versions)», a-t-on pu déjà entendre. Ou quand des supporteurs ch’tis s’adressent à d’autres supporteurs ch’tis."

Sources : http://www.liberation.fr/rebonds/319269.FR.php ; http://www.liberation.fr/actualite/sports/318910.FR.php

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité